Publication
6 avril 2020

Impacts du Covid-19 en droit administratif, droits de l’homme, droit du travail, droit des contrats et droit pénal

Les stagiaires et élèves avocats (EFB École de Formation du Barreau) de NAVACELLE Clément Allais, Amelle Djedi, Soukaina El-Mekkaoui, Christelle Meda et Ekaterina Oleinikova ont recueilli des éléments portant sur les conséquences du Covid-19 en droit administratif, droit de l’homme, droit du travail, droit des contrats ainsi que droit et procédure pénales.

 

Lire l’article

 

Le présent article a pour objectif de mettre en lumière les conséquences juridiques des décisions des pouvoirs publics prises en réponse à l’épidémie de Covid-19 en droit administratif, droit de l’homme, droit du travail, droit des contrats et droit pénal.

I. Les conséquences de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire en droit administratif.
A. Les pouvoirs du ministre de la Santé tels que prévus par le CSP
B. Les pouvoirs de police locale
C. L’état d’urgence sanitaire
D. La responsabilité du gouvernement et de l’Etat
1. La responsabilité du gouvernement et des ministres
2. La responsabilité de l’Etat

II. Coronavirus et droits de l’homme
A. L’ordonnance du 22 mars 2020 du Conseil d’Etat
1. Le droit à la vie
2. Le principe d’intelligibilité de la loi
B. Le droit à la dignité
1. Le droit à la dignité des patients
2. Le droit à la dignité du personnel soignant
C. Le droit à la vie privée
D. La liberté d’expression
Le devoir de réserve des hôpitaux
2. La politique de communication du gouvernement
3. La nécessaire limitation de l’« infodémie »

III. L’assouplissement du droit du travail face à l’épidémie
A. Congés
B. Temps de travail
C. Droit de retrait
D. Allocations-chômage
E. Chômage partiel

IV. Les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en droit des contrats
A. L’épidémie de coronavirus remplit-elle les conditions d’un cas de force majeure ?
1. Définition de la force majeure en droit français
2. Jurisprudence en matière de force majeure
3. Le Covid-19 est-il un cas de force majeure ?
4. Quid de l’exécution d’une obligation monétaire (hors la possibilité de suspendre pour certaines personnes physiques et morales le paiement des loyers et factures) ?
B. L’épidémie de Covid-19 peut-elle exonérer un débiteur défaillant de sa responsabilité contractuelle ?
1. La suspension du contrat en cas de force majeure
2. La renégociation du contrat en application de l’imprévision prévue par l’article 1195 du Code civil
C. L’assurance peut-elle atténuer la crise du Covid-19 ?

V. Le droit pénal et la procédure pénale à l’épreuve du Covid-19
A. Mesures de libération anticipée
B. Droits des gardés à vue
C. Les dispositions de l’ordonnance sur les délais
1. Sur la prescription des délits et des peines
2. Doublement de la plupart des délais de recours
D. Les audiences à juge unique
E. Le huis clos
F. Le déroulement des enquêtes
G. L’élargissement du domaine d’utilisation de la télécommunication audiovisuelle
H. La répression des violations de l’état d’urgence sanitaire

 

***

 

I. Les conséquences de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire en droit administratif.

Le projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été présenté par le Premier ministre en conseil des ministres le 18 mars 2020.

Ce projet de loi, qui a été adopté par le Parlement le 23 mars 2020, prévoit un régime d’état d’urgence sanitaire qui permet au gouvernement de prendre un large éventail de mesures réglementaires ou individuelles afin de lutter contre l’épidémie.

Ce projet vient s’ajouter aux deux fondements qui permettaient jusqu’alors de prendre des mesures sanitaires : le pouvoir de police générale du Premier ministre et l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (CSP).

 

A. Les pouvoirs du ministre de la Santé tels que prévus par le CSP

Les dispositions du CSP confèrent au ministre de la Santé les pouvoirs de prendre les mesures qui s’imposent afin de garantir la sécurité de la population en cas de menace sanitaire.

La loi du 23 mars 2020 a modifié les dispositions relatives aux pouvoirs du ministre de la Santé en matière de menaces sanitaires.

L’article L.3131-1 prévoit en effet qu’en « cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

De plus, il peut « habiliter le représentent de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles ».

Le ministre de la Santé est le seul compétent pour apprécier la situation d’urgence sanitaire et définir les mesures nécessaires pour y répondre. Ce régime se distingue donc de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 qui subordonne sa déclaration à un décret adopté en conseil des ministres et dont la prolongation doit être autorisée par le Parlement. Aucune procédure particulière de ce type n’est prévue en ce qui concerne la mise en œuvre des pouvoirs du ministre de la Santé1.

Les mesures prises font l’objet d’un examen périodique par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et il y est mis fin sans délai dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires (article L.3131-2).

Le ministre de la Santé dispose d’un éventail de mesures considérables qui peuvent prendre deux formes principales2:

  • des prestations matérielles (distribution de services, de produits ou de biens de santé etc.) et immatérielles (alertes, recommandations, campagnes de prévention et d’information sanitaires etc.),
  • des mesures réglementaires ou individuelles de polices. Encore une fois, ces mesures réglementaires ont un champ d’action particulièrement large puisqu’il peut s’agir de mesures consistant à isoler des malades du reste de la population ou prescrire des obligations de dépistage, de prévention ou de soins. Mais il peut aussi s’agir de limitations de certaines libertés telle que la liberté d’aller et venir (mesures de confinement, interdictions de circulation, restrictions de séjour et regroupement etc.).

Ces mesures sont soumises à l’examen périodique du Haut Conseil de la santé publique et leur légalité est subordonnée au contrôle du juge administratif.

Le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité à l’égard de toutes les mesures portant atteinte aux libertés de circulation et de réunion (CE 19 mai 1933, Benjamin).

Enfin, le procureur de la République doit être immédiatement informé de toute mesure individuelle adoptée en application de l’article L.3131-1 du CSP.

 

B. Les pouvoirs de police locale

Les collectivités bénéficient elles aussi de pouvoirs leur permettant de prendre des mesures en matière sanitaire.

Plusieurs arrêtés préfectoraux ont été pris sur les fondements de la loi du 23 mars 2020, de l’article L. 3131-1 du CSP et de l’article 2212-15 du code général des collectivités territoriales (CGCT) afin d’interdire les rassemblements, fermer des établissements scolaires, modifier les horaires de fermeture de certains établissements ou encore leur imposer des règles d’hygiène et de distanciation sociale.

Par ailleurs, le préfet dispose de pouvoirs propres qui lui permettent dans l’urgence d’ordonner l’exécution immédiate des mesures d’hygiène prescrites par les règlements sanitaires (article L. 1311-4 CSP) ou de procéder aux réquisitions nécessaires pour faire face à un afflux de patients (article L. 3131-8 CSP)3.

Ces mesures de polices doivent impérativement être nécessaires, adaptées et proportionnées.

Au même titre que les arrêtés préfectoraux, les mesures prises par les maires ne peuvent qu’appliquer ou aggraver la réglementation supérieure et sont soumises au contrôle du juge administratif.

Les maires peuvent eux aussi intervenir au titre de la police municipale et prendre des décisions en matière sanitaire (fermeture de crèches, d’écoles, d’établissements, couvre-feu etc.).

A titre d’exemple, le juge administratif a estimé que la décision prise par le maire de Lisieux d’instaurer un couvre-feu en réponse à la commission d’infractions et au non-respect des règles de confinement était fondée sur des motifs insuffisants4.

 

C. L’état d’urgence sanitaire

La loi du 23 mars 2020 a aussi eu pour effet de créer un chapitre 1er bis du Titre III du CSP intitulé « état d’urgence sanitaire ».

En application des articles L. 3131-12 à L. 3131-20, plusieurs mesures peuvent être prises à la fois par le Premier ministre et le ministre de la Santé.

L’article L. 3131-15 du CSP prévoit les mesures que peut prendre le Premier ministre :

« Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :

1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;

2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;

4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;

5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ;

6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;

7° Ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense ;

8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;

9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;

10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code.

Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. »

L’article L. 3131-16 du CSP prévoit quant à lui les mesures à disposition du ministre de la Santé :

« Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12.

Dans les mêmes conditions, le ministre chargé de la santé peut prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1° à 9° de l’article L. 3131-15.

Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. »

L’ensemble de ces mesures sont susceptible de recours en référé-suspension (L.521-1 CJA) et référé-liberté (L.521-2 CJA) devant le juge administratif (article L. 3131-18 CSP).

D. La responsabilité du gouvernement et de l’Etat

1. La responsabilité du gouvernement et des ministres

Plusieurs plaintes pénales ont été déposées par des collectifs de personnels de la santé et individus contre le Premier ministre et Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, eu égard à leur responsabilité dans la survenance et la gestion de la crise liée au coronavirus.

Elles se fondent notamment sur le délit d’abstention volontaire prévu à l’article 223-7 du code pénal aux termes duquel :

« Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Il est reproché au Premier ministre et à l’ancienne ministre de la Santé d’avoir eu conscience du péril sanitaire qui s’annonçait et d’avoir choisi de ne pas exercer les moyens d’actions qu’ils avaient à disposition.

D’autres plaintes visant le Premier ministre et l’actuel ministre de la Santé ont été déposées pour mise en danger de la vie d’autrui, non-assistance à personne en danger ou homicide involontaire.

 

2. La responsabilité de l’Etat

Il est question ici de la saisine du juge administratif aux fins d’obtenir la condamnation de l’Etat. Toute personne physique ou morale estimant que son dommage est imputable à l’Etat peut le saisir5.

La responsabilité de l’Etat est engagée si au regard des connaissances du danger qu’il avait ou pouvait avoir, l’Etat n’a pas pris les mesures qui s’imposaient à la situation. A ce titre, une faute simple suffit pour engager sa responsabilité. Cependant, le juge administratif tient compte des contraintes qui peuvent peser sur l’administration. Ces contraintes sont liées à la fois à la situation d’urgence mais aussi aux incertitudes qui peuvent la caractériser.

Dans la jurisprudence administrative, une carence de l’Etat est forcément constitutive de faute6. Cette carence peut résulter d’une inaction totale ou partielle (comme cela a pu être le cas dans les affaires du sang contaminé, Mediator etc.).

A titre d’exemple, il est reproché à l’Etat de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour permettre aux personnels de santé d’être équipés de suffisamment de masques de protection. Cette gestion du nombre de masque et l’inaction totale ou partielle de l’Etat sera examinée pour toutes les phases de la crise : de la phase de prévention au moment de sa survenance, jusqu’à son pic et sa décroissance7.

Le juge peut s’appuyer sur un large éventail de documents pour établir la faute de l’Etat (rapports scientifiques, déclarations de membres du gouvernement etc.). Dans ce contexte, on peut imaginer que les déclarations d’Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, pourraient fournir des éléments qui inciteraient le juge à condamner l’Etat dans la gestion de la crise du Covid-198.

Enfin, il est important de rappeler que les victimes ne peuvent être indemnisées que si elles établissent un préjudice et un lien de causalité en relation avec la faute de l’Etat.

 

II. Coronavirus et droits de l’homme

La Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a demandé vendredi 6 mars que les mesures prises par les pays pour lutter contre la propagation de l’épidémie du Covid-19 respectent les droits humains. Elle a également demandé qu’elles soient « proportionnées au risque évalué »9. La pandémie étant à l’origine d’un « état d’urgence sanitaire » elle engendre des exceptions aux droits de l’homme, ainsi quatre pays du Conseil de l’Europe : la Roumanie, la Moldavie, la Lettonie et l’Arménie ont déjà activé l’article 15 de la CESDH qui permet d’y déroger lors d’un état d’urgence10.

Le droit à la vie et le principe d’intelligibilité de la loi ont été évoqués dans le référé-liberté introduit par le syndicat jeunes médecins (A). D’autres droits sont mis en cause comme : le droit à la dignité (B), le droit à la vie privée (C) et la liberté d’expression (D).

 

A. L’ordonnance du 22 mars 2020 du Conseil d’Etat11

Dans cette ordonnance les requérants évoquaient deux fondements au soutien de leurs demandes : le droit à la vie (1) et le principe d’intelligibilité de la loi (2).

 

1. Le droit à la vie

Sur ce fondement les requérants ont présenté les demandes suivantes :

  • l’arrêt des transports en commun,
  • l’arrêt des activités professionnelles non vitales et l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement, sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical,
  • la mise en place d’un ravitaillement à domicile de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement,
  • des mesures propres à assurer la production massive de tests de dépistage et permettre le dépistage de tous les professionnels de santé. Par un mémoire en intervention il a également était demandé que des masques et des gels hydroalcooliques soient mis à disposition des soignants.

Le Conseil d’Etat dans son ordonnance a rejeté certaines de ces demandes aux motifs que :

  • l’arrêt des transports en commun causerait des retards dans l’acheminement de matériels ainsi que la continuation des activités professionnelles vitales toutefois ces transports peuvent être réservés en priorité au personnel médical ;
  • l’arrêt des activités professionnelles non vitales impacterait les activités vitales auxquelles elles contribuent ; le ravitaillement à domicile de la population ne peut être assuré par les moyens de l’Etat et risque d’engendrer des pénuries ;
  • pour l’accès aux tests, l’exemple des pays asiatiques comme Taiwan ou la Corée du Sud montre que si les porteurs sont dépistés et écartés de la population le confinement peut être évité12 ce qui pose la question de la nécessité d’un confinement puisqu’une mesure moins attentatoire aux libertés était possible. Toutefois le Conseil d’Etat a précisé qu’il n’y avait pas suffisamment de test pour toute la population ce qui justifie la limitation des tests existants dans un premier temps au personnel soignant. En effet, les tests pratiqués en France sont longs et nécessitent une analyse qui n’est possible que dans quarante-cinq établissements. Un test de la société américaine Hologic qui prends 8h est mis à disposition dans les hôpitaux de Lyon et de Toulouse, et deux tests un de 5h et un de 3h30 sont en cours de développement13. Ces tests permettront les tests massifs prévus à la fin du confinement. Le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur la demande de masque et de gel hydroalcoolique.

 

2. Le principe d’intelligibilité de la loi14

Les requérants demandaient un confinement total de la population, sauf avis médical, et que soit donc supprimé les autorisations aux contours imprécis qui avaient été données telles que l’autorisation d’activité sportives, les déplacements pour motifs de santé et le fonctionnement des marchés. Le Conseil d’Etat a enjoint le gouvernement de :

  • préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
  • réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
  • évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation15.

 

B. Le droit à la dignité

Le droit à la dignité des patients (1) et du personnel soignant (2) sont aussi mis en cause.

 

1. Le droit à la dignité des patients

Le droit à la dignité des patients se décline en droit au soin (a) et droit à choisir son soin (b).

 

a. Le droit d’accès au soin

Des cellules de conseils consultatifs locaux d’éthique ont été mises en place pour aider les médecins à trier les patients s’il n’y a pas assez de lits en réanimation et d’appareils respiratoires pour tous. Un document a été remis par le ministère de la santé à la DGS intitulé « Priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie » qui comporte un arbre décisionnel permettant de prioriser les malades selon un « score de fragilité ». Le calcul de ce score prend en compte l’âge, le nombre de pathologie dont souffre le patient et la perception de sa santé par rapport aux personnes du même âge16. Il fait de réquisitionner ou nationaliser l’entreprise Luxfer spécialisée dans la fabrication de bombonne d’oxygène est également débattu17.

b. Le droit de choisir son soin

Pour le comité consultatif national d’éthique, le droit au refus de soin dans ce cas est pondéré par le devoir prioritaire de ne pas être contaminant pour les tiers qui prime en vertu du devoir de solidarité18.

La question se pose du choix du traitement pour un patient qui souhaiterait bénéficier d’un traitement à base de chloroquine. L’article L.1111-4 du Code de la santé publique dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » et que « le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité19». Le choix du patient doit donc être informé et les risques pris en prenant le traitement doivent être proportionnels aux chances de guérison escomptées.

Les décrets du 25 et 26 mars 2020 autorisent la prescription et délivrance de Plaquenil pour un usage hospitalier seulement. L’Académie Nationale de Médecine a critiqué ces décrets en ce que la molécule est utile contre le virus pour éviter la défaillance pulmonaire tandis que ce décret ne l’autorise que pour les patients qui souffrent déjà de défaillance pulmonaire. Le Conseil d’Etat par ordonnance a rejeté une demande d’autorisation de prescription plus large de la chloroquine en considérant que les « études disponibles à ce jour souffrent d’insuffisances méthodologiques » et que « l’essai clinique européen « Discovery », dont les premiers résultats seront connus dans une dizaine de jours et qui doit inclure des patients pour lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule sur l’évolution de la maladie, permettra de recueillir des résultats plus significatifs. » 20.

 

2. Le droit à la dignité du personnel soignant

Les médecins qui reçoivent un arrêté de réquisition ont l’obligation légale d’y déférer sous peine d’encourir une amende de 3750 euros (article L.4163-7CSP), des poursuites pénales, une sanction disciplinaire et la mise en cause de leur responsabilité civile professionnelle. Les seules dérogations possibles à l’obligation de déférer sont :

  • la force majeure (maladie, inaptitude, obligation d’aller donner des soins urgents…) ;
  • l’incompétence technique (la mission confiée est totalement en dehors de la pratique habituelle du médecin requis21 ).

L’article 2 de la convention n°29 de l’OIT de 1930 définit le travail forcé comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ». Toutefois à son alinéa 2 il aménage une exception à l’interdiction du travail forcé pour les cas d’épidémies menaçant une partie de la population22.

 

C. Le droit à la vie privée

Orange, Telecom Italia, Telefonica et Vodafone se sont dits prêts à partager leurs données de géolocalisation anonymisées avec la Commission Européenne pour anticiper les pics de propagation de l’épidémie. Ces données seront confiées au centre d’étude scientifique de la Commission qui travaille sur des algorithmes pour analyser la propagation du virus. Ces données ont vocation à être détruites dès la fin de l’épidémie, leur utilisation est conforme à la directive ePrivacy, les conditions de stockage répondent au Règlement européen sur la protection des données (RGPD), et le contrôleur européen de la protection des données a été consulté23. En France c’est une collaboration du même type entre Orange et les autorités qui a permis d’affirmer que 17 % des habitants de la métropole du Grand Paris ont quitté la région entre le 13 et le 20 mars en se basant sur une analyse statistique des abonnés d’Orange24.

En France, le gouvernement a mis en place le comité CARE « chargé du suivi des études thérapeutiques » dont la mission est aussi de réfléchir à la mise en place de « backtracking » qui est une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été en contact avec des personnes infectées25. Pour tracer les personnes ayant été en contact avec des personnes infectées il faut utiliser des données de géolocalisation et des données de santé sur qui est infecté. Les données de santé sont protégées par l’article 9 du RGPD qui interdit leur traitement à l’exception des cas où le « traitement est nécessaire pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique, tels que la protection contre les menaces transfrontalières graves pesant sur la santé ».

Le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, a déclaré à l’AFP que « des contacts sont en cours » avec de « nombreux pays » tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou Singapour, qui « ont entrepris de développer des applications numériques destinées à combattre la propagation de l’épidémie », mais qu’« aucune initiative plus avancée n’a à ce stade été prise par le gouvernement » 26.

L’agence web française ITSS a lancé l’application CoronApp, sur laquelle les utilisateurs peuvent indiquer, justificatif médical à l’appui, qu’ils sont porteurs du coronavirus. S’ils croisent ou ont croisé la route d’autres utilisateurs non contaminés, ces derniers reçoivent une notification de la date et de l’heure à laquelle le contact a eu lieu, mais pas le nom de la personne. Cette application ne donne pas de garantie que ces données sont protégées27.

En Chine les données de santé sont utilisées pour lutter contre la propagation de l’épidémie en équipant les policiers de casques à réalité virtuelle qui permette de connaitre la température des passants dans un rayon de 5 mètres28. L’application Alipay Health Code qui crée un QR Code médical pour l’utilisateur est également nécessaire pour accéder à certains endroits29.

En Israël, le service de sécurité intérieure est quant à lui autorisé depuis le 16 mars à pister pendant trente jours la géolocalisation des téléphones de personnes infectées30.

En Corée du Sud, les autorités adressent des alertes sur les téléphones de ceux qui vivent ou travaillent dans des quartiers où de nouveaux cas sont confirmés. Le message précise les lieux dans les alentours qui ont été fréquentés par les malades avant qu’ils ne soient diagnostiqués, ainsi que leurs liens avec les autres personnes contaminées. Dans certaines villes les mairies dévoilent l’emploi du temps des personnes contaminées, parfois à la minute près, ainsi que leur adresse ou le nom de leur employeur. Des personnes ont été accusées d’avoir une liaison à cause de la coïncidence dans leur emploi du temps et ces publications ont conduit à dévoiler indirectement l’appartenance religieuse de certaines personnes puisque leur secte est liée à la moitié des cas de contamination dans leur zone31.

Au Danemark une loi d’exception a été adoptée le 12 mars. Le texte initial prévoyait d’autoriser les forces de l’ordre à pénétrer chez les Danois, soupçonnés d’être contaminés, sans autorisation d’un magistrat. Le paragraphe a été supprimé. La loi permet tout de même de prendre en charge, sous la contrainte, les personnes infectées par le virus et, le cas échéant, d’imposer la vaccination de toute la population32.

 

D. La liberté d’expression

L’accès à l’information sur le coronavirus est rendu difficile par la restriction de la liberté d’expression de certains personnels soignants (1), la politique de communication du gouvernement sur la maladie (2) et la prolifération de fausses nouvelles (3).

 

1. Le devoir de réserve des hôpitaux

En tant que membre d’un service public le personnel soignant des hôpitaux public est tenu à un devoir de réserve.

Toutefois, le Conseil d’Etat a reconnu le droit des médecins de contester le fonctionnement de leurs instances ordinales33 , les choix de santé publique et les méthodes de leurs confrères. Cette liberté d’expression doit s’exercer dans les « limites imparties par le respect de la vérité des faits, de la bonne foi et de la correction » et les propos injurieux sont interdits34.

 

2. La politique de communication du gouvernement

Concernant la pénurie de masque la politique de communication du gouvernement a été critiquée par des scientifiques : « Faute de disposer d’un nombre suffisant de masques, la position du gouvernement et de la direction générale de la santé a été de dire qu’ils ne servaient à rien en dehors de l’équipement des personnels hospitaliers. Ceci est faux. Ils protègent doublement : ils évitent à ceux qui sont porteurs du virus (souvent sans le savoir) de le transmettre et évitent à ceux qui ne le sont pas de le récupérer. Les pays du sud-est asiatique arrivent à maîtriser l’épidémie sans confinement et le port généralisé du masque est un des éléments de leur stratégie » 35.

Le Docteur Emmanuel Sarrazin à l’origine de la plainte déposée par 600 praticiens à l’encontre d’Edouard Philippe et d’Agnès Buzyn pour « Mensonge d’Etat » revendique le statut de « lanceur d’alerte ». La plainte déposée devant la Cour de Justice de la République s’appuie sur l’article 223-7 du code pénal, selon lequel « quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende » 36.

L’Assemblée nationale a mis en place une mission d’information dotée des prérogatives d’une commission d’enquête sur la gestion de l’épidémie de coronavirus37.

 

3. La nécessaire limitation de l’« infodémie »

Dû au manque d’information sur le Coronavirus de nombreuses fausses informations circulent comme celle selon laquelle la cocaïne serait un traitement ou encore que boire de l’alcool protégerait du virus. Cette dernière rumeur ayant causé la mort de 44 personnes en Iran qui ont bu de l’alcool frelaté38.

Fin 2018, Facebook, Google et Twitter, Mozilla, ainsi que des annonceurs et des représentants de l’industrie de la publicité avaient signé avec la Commission européenne un code de bonnes pratiques contre la désinformation39.

Début mars, Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Reddit, Twitter et YouTube ont publié une déclaration commune, promettant que chaque géant technologique combattrait la désinformation autour du COVID-1940.

En pratique, un message pop-up s’affiche à l’ouverture du compte Facebook et les fausses informations n’apparaissent qu’en bas du fil d’actualité41.

Concrètement, leurs employés ayant été confinés ce sont des algorithmes autonomes qui suppriment le contenu qu’ils identifient comme étant de la fausse information, ce qui a conduit à une forme de censure42.

Toute personne qui diffuse de fausses informations sur le coronavirus en Afrique du Sud encourt désormais une peine maximale de six mois de prison43.

En Thaïlande les plaisanteries du 1er avril sur le sujet du coronavirus ont été interdites sous peines de prison44.

En Bulgarie, le président a choisi de mettre son veto au durcissement des sanctions pour « propagation de fausses informations », qui aurait pu être punie de trois ans de prison45.

Certaines fausses rumeurs servent les autorités comme celle lancée par des étudiants en publicité en Floride qui ont affiché des faux posters de Netflix spoliant les séries populaires pour dissuader la population de sortir de chez elle46.

 

III. L’assouplissement du droit du travail face à l’épidémie

Le code du travail a été momentanément assoupli dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire afin d’aider les entreprises et les salariés à traverser la crise.

En matière de droit social, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a pour objectif de :

  • limiter les réductions d’effectifs en facilitant le recours au chômage partiel,
  • permettre aux employeurs de disposer plus librement de leurs salarié47.

Une première série de 25 ordonnances ayant pour but de mettre en œuvre ces mesures a été présentée mercredi 25 mars 2020 en conseil des ministres, parmi lesquelles trois ordonnances modifiant le droit du travail, et notamment le temps de travail hebdomadaire autorisé pour les salariés.

 

A. Congés

L’article 1er de l’ordonnance portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos prévoit que « l’établissement ou la branche, un accord d’entreprise, ou, à défaut, un accord de branche peut déterminer les conditions dans lesquelles l’employeur est autorisé, dans la limite de six jours de congés et sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc, à décider de la prise de jours de congés payés acquis par un salarié, y compris avant l’ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris, ou à modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés» 48.

En d’autres termes, un employeur peut imposer à un salarié de prendre ses congés durant le confinement, mais seulement après un accord d’entreprise ou de branche.

L’article 2 de l’ordonnance prévoit également une faculté donnée à l’employeur d’imposer ou de modifier s’affranchir des délais de prévenance pour informer ses salariés de la prise de congés et sera désormais simplement tenu de le dire un « jour franc » et non plus quatre semaines à l’avance.

En revanche, les dates des jours de réduction du temps de travail (RTT) pourront être imposées ou modifiées unilatéralement par l’employeur, sans qu’un accord collectif soit nécessaire.

Concernant le délai de carence, et ce pour toute la période d’urgence sanitaire, les salariés du secteur privé comme du secteur public seront intégralement indemnisés dès le premier jour de leur arrêt, et ce quel que soit leur régime obligatoire : général, agricole et régimes spéciaux dont celui de la fonction publique49.

 

B. Temps de travail

L’article 6 de l’ordonnance portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos prévoit que « dans les entreprises relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale, déterminés par décret et, le cas échéant, par dérogation aux stipulations conventionnelles applicables :

1° La durée quotidienne maximale de travail fixée à l’article L. 3121-18 du code du travail peut être portée jusqu’à douze heures ;
2° La durée quotidienne maximale de travail accomplie par un travailleur de nuit fixée à l’article L. 3122-6 du code du travail peut être portée jusqu’à douze heures, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal au dépassement de la durée prévue à ce même article ;
3° La durée du repos quotidien fixée à l’article L. 3131-1 du code du travail peut être réduite jusqu’à neuf heures consécutives, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier ;<br/ 4° La durée hebdomadaire maximale fixée à l’article L. 3121-20 du code du travail peut être portée jusqu’à soixante heures ;<br/ 5° La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives fixée à l’article L. 3121-22 du code du travail ou sur une période de douze mois pour les exploitations, entreprises, établissements et employeurs mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 et aux 2°, 3° et 6° de l’article L. 722-20 du code rural et de la pêche maritime et ayant une activité de production agricole, peut être portée jusqu’à quarante-huit heures ;<br/ 6° La durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit calculée sur une période de douze semaines consécutives fixée à l’article L. 3122-7 du code du travail peut être portée jusqu’à quarante-quatre heures».50.

L’article 7 prévoit quant à lui que « les entreprises relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale, déterminés par décret, peuvent déroger à la règle du repos dominical fixée à l’article L. 3132-3 du même code en attribuant le repos hebdomadaire par roulement. Cette dérogation s’applique également aux entreprises qui assurent à celles mentionnées au premier alinéa des prestations nécessaires à l’accomplissement de leur activité principale »51.

L’ordonnance permet ainsi à certaines catégories d’employeurs de s’affranchir des règles de droit commun en matière de temps de travail. Alors qu’en principe, un salarié ne doit accomplir plus de 44 heures par semaine en moyenne, ce plafond peut désormais être apporté à 46 heures.

Par ailleurs, pour les secteurs considérés comme « particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale », comme les secteurs des transports, télécommunications, agroalimentaire, logistique, agriculture, il sera possible d’employer de la main-d’œuvre pendant soixante heures, au maximum.

Les sociétés implantées dans ces mêmes secteurs stratégiques pourront, de plus, mobiliser leurs équipes le dimanche, afin d’assurer un service sept jours sur sept, au moment des pics d’activité.

Enfin, le repos minimum entre deux journées de travail pourra être ramené de onze à neuf heures.

 

C. Droit de retrait

L’article L.4131-1 du Code du travail prévoit que le travailleur doit alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

L’employeur ne peut pas demander à un salarié qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une telle situation de travail et ne peut pas le sanctionner dès lors que le salarié justifie d’un danger grave et imminent, soit un danger menaçant sa vie ou sa santé et susceptible de se réaliser dans un délai rapproché.

Le Ministère du Travail a précisé qu’un motif raisonnable de croire en un danger grave et imminent pour le travailleur correspond à la situation dans laquelle son employeur ne mettrait pas en œuvre les recommandations du gouvernement à l’égard du Covid-1952.

Dès lors que les recommandations émises par le gouvernement sont suivies, l’exercice du droit de retrait des travailleurs est limité. En effet, le Ministère du Travail considère que « le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie ».

 

D. Allocations-chômage

L’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421 2 du code du travail cherche à secourir les bénéficiaires de l’assurance-chômage. Ainsi, les droits à une allocation sont prolongés pour tous les demandeurs d’emploi qui les ont épuisés dans le courant du mois de mars.

L’article 1er de l’ordonnance prévoit ainsi qu’afin « de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19, pour les demandeurs d’emploi qui épuisent, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à une date fixée par arrêté du ministre chargé de l’emploi et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2020, leur droit à l’une des allocations mentionnées aux articles L. 5422-1, L. 5423-1, L. 5424-1 et L. 5424-21 du code du travail, la durée pendant laquelle l’allocation est versée fait l’objet, à titre exceptionnel, d’une prolongation déterminée par arrêté du ministre chargé de l’emploi53».

Les personnes en recherche d’emploi – qui ne peuvent pour l’instant pas procéder à la recherche d’emploi – voient également leur maintien d’allocations assuré. L’octroi de l’indemnité se fera automatiquement.

Enfin, la réforme de l’assurance chômage qui devait entrer en vigueur en avril 2020, prévoyant notamment une base de calcul différente pour l’attribution des allocations chômage, est suspendue54.

 

E. Chômage partiel

Un décret55 et une ordonnance56 relatifs à la réforme de l’activité partielle publiés respectivement au Journal officiel les 26 et 28 mars ont permis de faciliter le recours au chômage partiel. Ses dispositions s’appliquent à compter du 26 mars 2020 au titre du placement en chômage partiel de salariés depuis le 1er mars 2020.

Ce dispositif permet à des sociétés, confrontées à des difficultés passagères, de ralentir ou d’interrompre leur production. La rémunération du personnel est partiellement prise en charge par une allocation, financée par l’Etat et par l’Unédic, l’association paritaire qui gère le régime d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Le salarié en chômage partiel recevra 84 % – voire l’intégralité – de son salaire net et l’employeur est dédommagé à 100 %, dans la limite de 4,5 SMIC.

Le dispositif sera ouvert aux employés à domicile, aux assistantes maternelles ainsi qu’aux VRP et aux salariés dont le temps de travail est décompté en jours et non pas en heures. Des améliorations seront, de surcroît, apportées, notamment pour les personnes travaillant à temps partiel : ainsi, ceux qui sont à mi-temps au salaire minimum percevront 100 % de la moitié du SMIC (contre 84% aujourd’hui)57.

Les motifs permettant de recourir au chômage partiel restent inchangés et correspondent aux situations prévues par l’article R.5122-1 du Code du travail : les entreprises peuvent alors y avoir recourir dès lors qu’elles connaissent une baisse d’activité pour l’une des raisons suivantes :

  • Conjoncture économique
  • Difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie
  • Sinistre ou intempéries de caractère exceptionnel
  • Transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise
  • Toute autre circonstance de caractère exceptionnel

La procédure de dépôt de demande préalable de l’activité partielle pour motif de « circonstance de caractère exceptionnel » prévu par l’article R.5122-3 du Code du travail a été assoupli : alors qu’en principe, l’autorisation de recours au chômage partiel doit être antérieure à sa mise en œuvre dans l’entreprise, les entreprises ont dorénavant jusqu’à trente jours après la mise en œuvre de cette mesure pour déposer leur demande. Cela permet alors aux entreprises d’obtenir une indemnisation rétroactive, dans la limite de 30 jours58.

Enfin, la durée de validité maximale de l’autorisation d’activité partielle prévue par l’article R.5122-9 du Code du travail a également connu un assouplissement : en effet, alors qu’en principe, cette durée maximale était de 6 mois, le Gouvernement a décidé d’allonger ce délai de 6 mois supplémentaire, apportant ainsi la durée maximale d’autorisation à 12 mois59.

 

IV. Les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en droit des contrats

Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a annoncé le 28 février que l’épidémie de coronavirus devait être considérée comme « un cas de force majeure pour les entreprises »60 . Cependant, cette déclaration, limitée aux « marchés publics de l’État », n’a pas pour effet de transformer plus généralement l’épidémie de coronavirus en évènement de force majeure justifiant l’inexécution de toutes les obligations contractuelles de droit privé.

A quelles conditions est-il possible de se prévaloir régulièrement d’un cas de force majeure pour justifier l’impossibilité d’honorer un contrat et éviter les pénalités liées à la non-exécution ?

L’épidémie de coronavirus remplit-elle les conditions d’un cas de force majeure ?

 

1. Définition de la force majeure en droit français

L’article 1218 du code civil définit la force majeure comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Pour être qualifié de cas de force majeure, l’événement doit donc être extérieur, imprévisible et irrésistible pour le cocontractant.

En outre, celui qui invoque la force majeure pour justifier de l’inexécution contractuelle doit pouvoir démontrer qu’il a accompli les diligences nécessaires pour éviter la réalisation de l’évènement dommageable, mais également pour en surmonter les conséquences au moment de sa survenance61.

 

2. Jurisprudence en matière de force majeure

La jurisprudence62 démontre que les tribunaux ne retiennent pas toujours les épidémies comme constituant un cas de force majeure, du fait de l’absence de gravité suffisante ou disponibilité de traitement. A titre d’exemple peuvent notamment être citées les décisions suivantes :

– La Cour d’appel de Basse Terre jugeant que l’épidémie de chikungunya ne pouvait être considérée comme imprévisible et ni irrésistible car cette maladie était connue dans la région et pouvait être soignée par des médicaments63.

– A propos de l’épidémie de Dengue, la Cour d’appel de Nancy a relevé qu’elle n’était pas imprévisible car se produisait régulièrement et que la possibilité de mesures de protections individuelles contre les piqûres de moustiques était envisageable ce qui écartait le critère de l’irrésistibilité64.

– Survenance d’une épidémie de peste dans une région voisine d’une escale de croisière ne présentait pas de caractère de gravité suffisante et ne justifiait pas l’annulation par des voyageurs de leur réservation pour cause de force majeure65.

S’agissant de la demande d’annulation du voyage en raison de l’épidémie de SRAS affectant l’Asie et le remboursement des sommes versées par les voyageurs, la cour a jugé qu’il n’existait pas, à la date prévue pour le séjour, un risque sanitaire en Thaïlande constituant un cas de force majeure imposant au vendeur d’annuler le voyage66.

En revanche, la Cour d’appel d’Agen a jugé que l’épidémie de brucellose bovine revêtait les caractéristiques de la force majeure du fait de sa grande virulence et sa contagiosité redoutable « se caractérisant par une période de latence indécelable et imprévisible » 67.

 

3. Le Covid-19 est-il un cas de force majeure ?

En transposant les décisions précitées à l’épidémie de COVID-19, il est possible d’en déduire que dès lors qu’un Etat ou l’OMS ont déclaré l’existence de l’épidémie ou a fortiori, l’état d’urgence sanitaire, l’épidémie devient un événement susceptible d’entrer dans le champ de force majeure du fait de sa gravite suffisante.

Les conditions d’extériorité (le débiteur de l’obligation n’est pas à l’origine de l’épidémie) et d’imprévisibilité (dans la mesure où la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie ou ces conséquences rendant impossible l’exécution du contrat) n’étant pas en débat, il convient d’examiner plus en détail la condition d’irrésistibilité, c’est-à-dire l’impossibilité de prévenir le dommage résultant de l’inexécution.

Les conséquences de l’épidémie de Covid-19 telles que les décisions des pouvoirs publics, en ce qu’elles limitent et interdisent les rassemblements et déplacements de personnes, sont susceptibles d’être générateurs de force majeure car elles constituent un obstacle insurmontable à l’exécution des obligations contractuelles. Ainsi, le confinement d’un débiteur d’une obligation contractuelle (par exemple en matière de livraison) pourrait en principe justifier le recours à la force majeure si les effets de l’événement générateur ne pouvaient être évités par des mesures appropriées.

La cour d’appel de Colmar vient de statuer sur la qualification de force majeure de l’épidémie de COVID-19. Les arrêts rendus en matière de droit d’asile retiennent que l’épidémie revêt les caractères de la force majeure justifiant l’absence du demandeur d’asile à l’audience68.

 

4. Quid de l’exécution d’une obligation monétaire (hors la possibilité de suspendre pour certaines personnes physiques et morales le paiement des loyers et factures69) ?

Il s’agit d’examiner l’hypothèse d’une baisse du chiffre d’affaires due à la survenance de l’épidémie de Covid-19 du débiteur d’une obligation monétaire (locataire ou preneur à bail commercial). Les juges sont réticents à admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire. À ce titre, la Cour de cassation a notamment jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure »(Cass. com. 16-9-2014 n°13-20.306 F-PB : RJDA 11/14 n° 886.( Cass. com. 16-9-2014 n°13-20.306 F-PB : RJDA 11/14 n° 886.70.

Cette position jurisprudentielle s’explique par le fait que l’argent, étant une chose fongible, il peut toujours être remplacé, de sorte qu’il ne serait pas impossible pour le débiteur d’assurer le payement. Ainsi, dès lors que l’exécution d’une obligation monétaire n’est pas impossible mais seulement rendue plus difficile à cause d’un événement, la force majeure ne peut être retenue71.

Il convient, en outre, pour le débiteur qui invoque la force majeure, d’établir le lien de causalité entre l’événement et l’impossibilité d’exécuter son obligation. La cour a considéré que le caractère avéré de l’épidémie de virus EBOLA qui a frappé l’Afrique de l’Ouest à partir du mois de décembre 2013, « même à la considérer comme un cas de force majeure », ne suffisait pas à établir que cette épidémie avait entraîné la baisse ou l’absence de trésorerie d’une société dans le secteur de l’hôtellerie. La cour a considéré que le cocontractant défaillant devait supporter la charge de la preuve et qu’il n’apportait pas la preuve que le non-paiement des cotisations était la conséquence d’une force majeure72.

L’épidémie de Covid-19 peut-elle exonérer un débiteur défaillant de sa responsabilité contractuelle ?

 

1. La suspension du contrat en cas de force majeure

Un cas de force majeure entraîne en principe la suspension du contrat.

Aux termes du second alinéa de l’article 1218 du code civil, si l’empêchement à l’exécution est temporaire, l’exécution de l’obligation est simplement suspendue. En revanche, si l’empêchement est définitif ou si le retard dans l’exécution du contrat rend inutile son exécution, le contrat est alors résolu de plein droit.

En outre, en application du principe général de liberté contractuelle, une clause de force-majeure peut préciser la définition et les effets de la force majeure. Dans ce cas, les parties peuvent notamment décider que, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure, les stipulations contractuelles continuent à s’appliquer. Ainsi, le débiteur d’une obligation peut accepter de se charger d’exécuter le contrat en présence d’un cas de force majeure, renonçant ainsi à s’en prévaloir, ce que permet l’article 1351 du code civil.

 

2. La renégociation du contrat en application de l’imprévision prévue par l’article 1195 du Code civil

Les parties peuvent également renégocier le contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, mécanisme prévu par l’article 1195 du Code civil. En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de le soumettre au juge, qui procédera à sa révision. Par ailleurs, tant que le juge ne s’est pas prononcé, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions. Là encore, si l’imprévision fait l’objet de dispositions légales, elle peut également faire objet d’un aménagement contractuel.

 

V. L’assurance peut-elle atténuer la crise du Covid-19 ?

Il est question de la prise en charge des pertes d’exploitation que vont connaitre certaines entreprises en situation d’arrêt temporaire d’activité ou la baisse d’activité.

La perte du chiffre d’affaires peut-elle être garantie par le contrat d’assurance au titre de la garantie des pertes d’exploitation ?

Dans la majorité des contrats d’assurance souscrits par les entreprises, les pertes d’exploitation ne sont couvertes que si elles sont consécutives à un dommage matériel. Les pertes d’exploitation peuvent ainsi être consécutives à certains événements énumérés dans la police d’assurance (comme incendie, dégât des eaux, tempête).

Or, l’épidémie, s’il pourrait être l’ « évènement » déclencheur de la garantie, ne crée pas pour autant de dommage matériel. Les entreprises ayant souscrit ce type d’assurance se retrouveront alors très probablement sans aucune garantie des pertes d’exploitation consécutives à l’épidémie du Covid-19.

En revanche, les entreprises qui ont anticipé la souscription d’une garantie spécifique de pertes d’exploitation « sans dommage », doivent vérifier que la couverture de prise en charge par l’assureur inclue les pertes liées à une épidémie, et si l’épidémie de Covid-19 ne peut être exclue par une clause d’exclusion spécifique.

Le droit pénal et la procédure pénale à l’épreuve du Covid-19

Pour faire face à l’état d’urgence sanitaire des libérations anticipées ont été mises en œuvre (A). L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l’épidémie de covid-19 prévoit des mesures sur la garde à vue (B), qui rallongent les délais de procédure (C), supprime la collégialité (D) et la publicité des audiences (E). Une circulaire de la Ministre de la Justice a également précisé les mesures qui devaient être prises concernant le déroulement de l’enquête (F). Le recours à la vidéo-conférence a été élargi (G) et les mesures de confinement s’accompagnent de nouvelles incriminations (H).

 

A. Mesures de libération anticipée

Les mesures de libération anticipées ont touché près de 5% de la population carcérale73 . Le 3 avril 2020, le ministère de la Justice annonce à l’AFP une réduction du nombre de détenus dans les prisons françaises de 6 266 personnes entre le 16 mars et le 1er avril. Cette baisse inédite est liée à la fois à une diminution de l’activité judiciaire mais aussi et surtout aux libérations anticipées.

Le rythme dépend néanmoins des juridictions. A titre d’exemple, la prison de la Santé, à Paris, comptait vendredi 27 mars 780 détenus, contre près d’un millier à la veille de l’épidémie74.

Selon les chiffres donnés le lundi 30 mars par l’administration pénitentiaire, parmi les membres du personnel, 881 agents sont également placés en quatorzaine actuellement et 138 en sont sortis. Parmi les détenus, en plus des 31 cas de contamination, 683 sont en « confinement sanitaire » et 176 en sont sortis75.

Ces mesures de libération anticipée permettent de réduire la population carcérale et ainsi facilitent les mesures de confinement en cellule individuelle pour les détenus présentant des symptômes ou victimes du Covid-19.

L’article 27 de l’ordonnance n° 2020-303, 25 mars 2020, portant adaptation des règles de procédure pénale prévoit « une réduction supplémentaire de la peine d’un quantum maximum de deux mois, liée aux circonstances exceptionnelles, est accordée par le juge de l’application des peines aux condamnés écroués en exécution d’une ou plusieurs peines privatives de liberté à temps pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Ces réductions de peine peuvent être ordonnées sans que soit consultée la commission de l’application des peines en cas d’avis favorable du procureur de la République. A défaut d’un tel avis, le juge peut statuer au vu de l’avis écrit des membres de la commission, recueilli par tout moyen.

La réduction de peine prévue au premier alinéa peut être accordée aux condamnés ayant été sous écrou pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, même si leur situation est examinée après l’expiration de cette période. Le cas échéant, la décision de réduction de peine est prise après avis de la commission de l’application des peines ».

Il s’agit en d’autres termes d’une réduction supplémentaire de la peine d’un quantum maximum de deux mois accordés par le juge de l’application des peines, sans avis de la commission de l’application des peines en cas d’avis favorable du procureur de la République.

Sont exclus de ce dispositif, les condamnés pour des faits de terrorisme, ou des infractions commises au sein du couple ou ayant participé à une action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre ou ayant eu un comportement manifestement contraire aux règles de civisme imposé par le contexte sanitaire, en particulier à l’égard des personnels.

L’article 2876 permet aux détenus condamnés à une peine inférieur ou égale à 5 ans d’emprisonnement, avec une durée de détention restant à subir égale ou inférieure à 2 mois, de bénéficier d’une sortie anticipée sous forme d’une assignation à résidence. Ce même texte prévoit la révocation de cette assignation, en cas de nouvelle infraction ou si les conditions de sa sortie ne sont pas respectées. Parmi les personnes exclues de ce dispositif, figurent celles évoquées à l’article 27 en matière de réduction de peine et, en plus, les détenus mineurs.

L’article 2977 termine en permettant au juge de l’application des peines de convertir, notamment en travail d’intérêt général (TIG) et en peine de jours amendes, des peines de 6 mois d’emprisonnement.

 

B. Droits des gardés à vue

L’article 13 de l’ordonnance n° 2020-303, 25 mars 2020, portant adaptation des règles de procédure pénale prévoit qu’une personne gardée à vue ou entendue puisse s’entretenir avec un avocat, ou être assistée par lui, à distance, « par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique, y compris téléphonique, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges ».

En réponse à cette disposition, les avocats du Barreau de Lyon ont évoqué un « confinement des droits de la défense » dans une lettre adressée à la ministre Nicole Belloubet, en date du 27 mars 2020. Les avocats y déplorent que ces mesures « aient été prises, une fois de plus, dans le cadre d’un arbitrage répressif au détriment des libertés individuelles des personnes et de l’exercice effectif des droits de la défense ». Le barreau lyonnais « ne participera pas « à des désignations d’avocats en garde à vue pour la tenue d’entretiens ou d’auditions dites immatérielles et qui ne respectent pas, à l’évidence, les droits élémentaires de la défense des mis en cause ou des victimes »78.

En outre, l’article 1479 dispose que les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de 16 à 18 ans, ainsi que les prolongations des gardes à vue prévues par l’article 706-88 du code de procédure pénale peuvent intervenir sans présentation de la personne devant le magistrat compétent.

Dans l’hypothèse où un médecin constaterait les symptômes du COVID-19 chez une personne gardée à vue et se prononcerait sur l’incompatibilité de l’état de l’intéressé avec la mesure80, la garde à vue devrait alors être levée dans les meilleurs délais, la Cour de cassation considérant qu’à défaut, la poursuite de la garde à vue porte nécessairement atteinte à ses intérêts81.

S’agissant des mineurs, il conviendra de s’assurer d’une prise en charge par les représentants légaux après la levée de la mesure.

 

C.Les dispositions de l’ordonnance sur les délais

L’ordonnance suspend la prescription (1) et rallonge des délais de recours (2).

 

1. Sur la prescription des délits et des peines

A compter du 12 mars 2020, les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine sont suspendus jusqu’à un mois après la levée de l’état d’urgence soit le 24 juin 2020 pour le moment82.

C’est le Conseil d’Etat qui a imposé la date du 12 mars plutôt que celle du 24 mars puisque c’est à partir de cette date que des mesures restrictives de libertés ont été encouragées pour les personnes âgées notamment83.

Si un acte interruptif de prescription intervient pendant le délai de suspension il reste valable mais produira ses effets à la fin de la suspension. Le délai de prescription qui devait s’appliquer à l’infraction recommencera à courir dans son entièreté à partir du moment où la suspension sera levée84. Cette mesure ayant pour effet de rallonger la procédure elle porte atteinte au principe du délai raisonnable garantie par l’article préliminaire du Code de procédure pénale ainsi que l’article 6 de la CESDH.

L’ordonnance du 26 mars ne devrait pas pouvoir faire revivre des prescriptions légalement acquises avant et entre le 12 mars et le 26 mars en vertu du principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères85. Toutefois, la circulaire de présentation de l’ordonnance qui précise que la suspension « s’applique de façon rétroactive à partir du 12 mars 2020, pour les prescriptions qui n’étaient pas déjà acquises à cette date » 86 semble indiquer le contraire.

 

2. Doublement de la plupart des délais de recours

Les délais fixés par les dispositions du Code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours sauf pour les appels d’ordonnance de mise en liberté lors des détentions provisoires en application de l’article 148-1-1 qui restent de 4 heures87.

Le doublement n’est pas applicable aux délais échus avant le 26 mars 2020, puisqu’il ne peut pas être rétroactif. Pourtant, former un tel recours la semaine du 12 au 26 mars était matériellement très difficile et l’ordonnance n’a pas pris cette situation en compte.

 

D. Les audiences à juge unique

Le Chapitre III de l’ordonnance permet l’organisation d’audiences à juge unique sur décision du président de la juridiction « constatant que la réunion de la formation collégiale n’est pas possible » pour les juridictions suivantes :

  • la chambre de l’instruction en matière correctionnelle,
  • le tribunal correctionnel,
  • la chambre des appels correctionnels et la chambres spéciales des mineurs,
  • le tribunal pour enfants en matière correctionnelle,
  • le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel.

La collégialité n’a pas valeur de principe fondamental en droit et la pratique du juge unique est constitutionnelle du moment que tous les accusés dans une même situation sont traités à égalité88 . Or ici l’ordonnance crée une différence de traitement entre des accusés selon qu’ils sont jugés pendant ou après l’« état d’urgence sanitaire ».

Toutefois en vertu d’une lettre de la Ministre de la Justice peu de contentieux seront concernés puisque les juridictions sont fermées sauf pour les « contentieux essentiels » que sont :

  • « les audiences correctionnelles pour les mesures de détention provisoire et de contrôle judiciaire ;
  • les audiences de comparution immédiate ;
  • les présentations devant le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention ;
  • les audiences du juge de l’application des peines pour la gestion des urgences ;
  • les audiences du tribunal pour enfants et du juge pour enfant pour la gestion des urgences, notamment pour l’assistance éducative ;
  • les permanences du parquet ;
  • les référés devant le tribunal judiciaire visant l’urgence, et les mesures urgentes relevant du juge aux affaires familiales (notamment immeubles menaçant ruine, éviction conjoint violent) ;
  • les audiences auprès d’un juge des libertés et de la détention civil (hospitalisation sous
  • contrainte, rétention des étrangers) ;
  • les permanences au tribunal pour enfants, l’assistance éducative d’urgence ;
  • les audiences de la chambre de l’instruction pour la détention ;
  • les audiences de la chambre des appels correctionnels et de la chambre d’applications des peines pour la gestion des urgences89 ».

 

E. Le huis clos

L’ordonnance prévoit que les débats et le jugement peuvent se dérouler à huis clos sur décision du président de la juridiction90.

La publicité des audiences est un principe d’ordre public91 et c’est un principe essentiel de la procédure pénale92. La CEDH a considéré que c’est un « principe fondamental qui protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue l’un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et tribunaux » 93. Il ne peut y être dérogé que par la loi pour la publicité des débats mais le jugement sur le fond doit toujours être prononcé en public94. Il n’est pas nécessaire de prouver un grief pour obtenir la nullité d’un jugement pris en chambre95.

 

F. Le déroulement des enquêtes

Le parquet est invité à « réduire » et « adapter » l’action pénale (enquête, interpellation, garde à vue, déferrement) en fonction de critères de pertinence territoriale (nature de la délinquance sur un territoire donné), de gravité et d’urgence.

L’objectif est de limiter strictement aux situations qui nécessitent la mise en place d’une mesure de sûreté (contrôle judiciaire, détention provisoire) la mobilisation de personnels garde à vue et déferrements.

Sont ainsi préconisés :

    • pour les enquêtes de flagrance : de limiter garde à vue et déférés ;

pour les enquêtes préliminaires : de privilégier les « modes de poursuite sans présentation et à échéance plus longue » ;

  • pour les instructions judiciaires : de se rapprocher des « magistrats instructeurs pour qu’ils évaluent l’opportunité de différer les interpellations ne présentant pas de caractère d’urgence » 9697

 

G. L’élargissement du domaine d’utilisation de la télécommunication audiovisuelle

Pour tenir compte du confinement imposé à la population et de la réduction au minimum du nombre de magistrats et de greffiers présents dans les juridictions, l’article 5 de l’ordonnance98 généralise la possibilité de recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties.

La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne a introduit dans le Code de procédure pénale un article 706-71 énumérant les hypothèses d’un recours possible à la visioconférence et définissant les conditions de son emploi. Cet article devait initialement être utilisé dans le cadre de procédures anti-terroristes.

Le domaine d’application de la visioconférence a ensuite été étendu par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice99 prévoyant la « simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale ». Cette loi a alors généralisé la télécommunication audiovisuelle « aux fins d’une bonne administration de la justice » 100, en prévoyant parfois l’accord préalable de la personne concernée101. L’article 706-71 n’a pas fixé de critères objectifs justifiant le recours à ce moyen particulier de communication, faisant la référence simplement aux « nécessités de l’enquête ou de l’instruction » ou bien encore « à la nécessité résultant de l’impossibilité pour un interprète de se déplacer ».

Le recours à la visioconférence, autorisé principalement pour certains actes, tels que l’audition, l’interrogatoire ou la confrontation, a été donc progressivement étendu à toutes les phases du procès pénal (enquêtes, instruction, jugement). Le troisième alinéa de l’article 706-71 du Code de procédure pénale dans sa dernière version dispose ainsi que les dispositions prévoyant l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle « sont applicables devant la juridiction de jugement pour l’audition des témoins, des parties civiles et des experts. Elles sont également applicables, avec l’accord du procureur de la République et de l’ensemble des parties, pour la comparution du prévenu devant le tribunal correctionnel si celui-ci est détenu ».

Par dérogation à ces dispositions, l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 dispose qu’ « il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties ». L’ordonnance prive donc la personne intéressée de la possibilité de s’opposer au recours à la visioconférence.

Il convient de s’interroger sur la conformité de ce dispositif aux exigences du droit constitutionnel. Il est à noter que le Conseil constitutionnel a censuré102 en 2019 les dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ayant supprimé l’obligation de recueillir l’accord de l’intéressé pour recourir à la visioconférence lorsqu’il s’agit d’un débat au cours duquel il doit être statué sur la prolongation d’une mesure de détention provisoire. La censure a été prononcée sur le fondement des droits de la défense, ainsi qu’en raison de l’importance du contentieux de la détention provisoire et sa spécificité tenant à la présomption d’innocence. Selon le Conseil constitutionnel, la visioconférence n’aurait pas techniquement un effet équivalent à la présentation physique du prévenu devant le juge et n’offrait pas des garanties suffisantes103.

Pourtant, le Conseil constitutionnel a décidé également que le recours à la visioconférence peut être admis s’il se justifie par les circonstances particulières. Ainsi, en matière de droit d’asile104 le Conseil constitutionnel a considéré que le recours à la visioconférence, sans le consentement de l’étranger, pouvait se justifier, à la fois, par la finalité poursuivie (contribuer à la bonne administration de la justice) et les garanties procédurales prévues par le législateur (assistance par un avocat et un interprète, procès-verbal d’audience) 105.

En transposant cette décision à l’épidémie de COVID-19, l’on pourra penser que les circonstances particulières de l’état d’urgence sanitaire et sa durée limitée pourraient justifier l’utilisation de la visioconférence sans l’accord des intéressés, à condition de respecter le droit au procès équitable et l’existence des garanties procédurales. A cet égard, l’article 5 de l’ordonnance indique que le juge doit organiser et conduire la procédure « en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats ». En outre, « en cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut décider d’utiliser tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats ».

Il est toutefois nécessaire d’assurer que ces mesures dérogatoires n’aient pas vocation à perdurer et ne prennent pas la forme d’un caractère durable et constant après la disparition de la pandémie.

 

H. La répression des violations de l’état d’urgence sanitaire

Les mesures de confinement ont d’abord été mises en œuvre par le Ministre des solidarités et de la santé dans deux arrêtés des 14 mars et 15 mars 2020.

C’est ensuite par décret du Premier Ministre et finalement en application de la loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire (décret n°2020-293 du 23 mars 2020) que les mesures de confinement ont été fixées.

Les dispositions pénales relatives à l’état d’urgence sanitaire figurent à l’article L.3136-1 du Code de Santé publique (CSP).

Les deux premiers alinéas de l’article prévoient les peines applicables aux individus qui ne respecteraient pas les procédures de réquisitions prévues aux articles L.3131-8, L.3131-9, et L.3131-15 à L.3131-17 CSP.

En application des dispositions de l’état d’urgence sanitaire, les pouvoirs publiques sont en effet compétents pour ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire.

Le non-respect de ces réquisitions est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.

La violation des autres interdictions figurant aux articles L.3131-1 et L.3131-15 à L.3131-17 CSP est punie de l’amende prévue pour les contraventions de quatrième classe (750 euros), susceptible de faire l’objet de l’amende forfaitaire. Si une nouvelle violation est constatée dans un délai de 15 jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de cinquième classe (1 500 euros).

Si un individu enfreint les mesures de l’état d’urgence sanitaire trois fois dans un délai de 30 jours, les faits sont alors punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ainsi que des peines complémentaires de travail d’intérêt général et de suspension du permis de conduire si applicables au fait d’espèce.

La création d’un délit de violation répétée des mesures relatives à l’état d’urgence sanitaire permet aux autorités de recourir au mécanisme de la garde à vue, qui n’est applicable qu’aux délits punis d’emprisonnement106.

Par ailleurs, il permet aussi d’intégrer le seuil minimal justifiant une procédure de comparution immédiate, qui était un objectif clairement affiché par le gouvernement lors du choix de la peine applicable107.

Contenu similaire

Analyse
26 février 2024
L’assouplissement du principe de loyauté de la preuve en matière civile – Analyse de l’arrêt...
L’arrêt du 22 décembre 2023 reconnaît l’admissibilité de la preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale en matière...
Publication
The discreet ramping up of environmental criminal law
5 décembre 2023
La discrète montée en puissance du droit pénal de l’environnement
Navacelle revient pour The Legal Industry Reviews sur la récente et progressive application effective du droit pénal de l’environnement par...
Publication
Bastille day newsletter 2023
14 juillet 2023
Bastille Day Newsletter 2023
En ce 14 juillet, l’équipe Navacelle vous propose, comme chaque année, une sélection d'événements marquants survenus en France au cours...
Événement
L’entreprise face aux droits fondamentaux - AIJA (vignette)
12 janvier 2023
[Table ronde] L’entreprise face aux droits fondamentaux
Stéphane de Navacelle a participé à la conférence francophone sur les droits fondamentaux dans l'entreprise organisée par l'AIJA le vendredi...
Publication
BDN 2022
14 juillet 2022
Bastille Day Newsletter 2022
En ce 14 juillet, l’équipe Navacelle vous propose, comme chaque année, une sélection d'événements marquants survenus en France au cours...
Revue de presse
Revue de presse - Semaine du 20 juin 2022
24 juin 2022
Revue de presse – Semaine du 20 juin 2022
Cette semaine vous découvrirez le nouvel article du code pénal qui harmonise la répression de la prise illégale d’intérêt, une...
Actualité
Devoir de vigilance
21 juin 2022
Le devoir de vigilance français à l’aune de son européanisation
Le 23 février dernier, la Commission européenne a dévoilé sa proposition de directive sur le devoir de vigilance qui vise...
Revue de presse
Revue de presse - Semaine du 21 mars 2022
25 mars 2022
Revue de presse – Semaine du 21 mars 2022
Dans cette revue de presse, vous retrouverez notamment des articles sur la deuxième CJIP environnementale conclue cette semaine par le...
Analyse
Quel sera l'impact de la transposition en droit français de la directive européenne sur la protection des lanceurs d'alerte ? (En anglais)
14 juillet 2021
Quel sera l’impact de la transposition en droit français de la directive européenne sur la...
Bastille Day Newsletter 2021 - Legislative, Regulatory & Policy updates
Analyse
Le renforcement de la justice environnementale avec l'introduction de la CJIP environnementale française (En anglais)
14 juillet 2021
Le renforcement de la justice environnementale avec l’introduction de la CJIP environnementale française (En anglais)...
Bastille Day 2021 - Legislative, Regulatory & Policy updates
Analyse
14 juillet 2021
L’AFA a mis à jour ses recommandations concernant les programmes anti-corruption (En anglais)
Bastille Day Newsletter 2021 - Legislative, Regulatory & Policy updates
Publication
14 avril 2021
Les risques de la reconnaissance préalable de culpabilité en France
Conseils clés pour une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en France pour l’Anti-Corruption Report....